La Casa Batlló de Antoni Gaudí
Article partenaire avec les Dossiers de l’Art
Par Jeanne Faton
Le musée d’Orsay célèbre un des architectes les plus étonnants de la fin du XIXe siècle, idole du modernisme catalan, Antoni Gaudí. Il a marqué la ville de Barcelone par ses édifices uniques : le Parc Güell, la basilique de la Sagrada Familia – dont la construction est toujours en cours – et de luxueuses demeures pour de riches particuliers. Bienvenue dans l’une de ces plus célèbres casas : la Casa Batlló.
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Lorsque José Batlló i Casanovas, riche industriel du textile, s’adresse à Gaudí, ce n’est pas pour construire un immeuble neuf mais pour transformer une maison élevée dans les années 1870 au 43 Passeig de Gràcia, qu’il vient d’acheter. Il veut y aménager, d’un côté, des appartements privés, et de l’autre, sa propre habitation. Le tour de force de l’architecte sera de ne faire apparaître aucune trace de l’ancienne maison sans pour autant la démolir. En laissant libre cours à son imagination, Gaudí réalise l’une des façades les plus spectaculaires de Barcelone, avec un intérieur fantaisiste inspiré par l’univers de la mer…
Une façade aux mille visages
La maison s’érige sur des colonnettes en pierre, qui évoquent, aux yeux de certains, les tibias du squelette humain. C’est l’origine d’un sobriquet donné à la maison au moment de sa construction : « la maison des os ». La pierre réapparaît aux soubassements des balcons, dont la découpe a pu aussi faire songer à un masque de carnaval vénitien. Cette image, associée au revêtement coloré et pointilliste de la façade, évoque également un lancer de confettis, tandis que les couleurs de la façade rappellent celles, changeantes, de la mer traversée par les rayons du soleil.
Terrain d’expérimentation du trencadís
Si subjectives soient-elles, de telles impressions sont dues à l’usage particulièrement savant du trencadís. Typique de l’architecture moderne catalane, ce type de mosaïque composé d’éclats de céramique a été enrichi dans sa technique d’assemblage sur le chantier de la Casa Batlló. Gaudí adopte une autre technique consistant à placer un morceau d’une certaine dimension à la surface du ciment encore frais et de le casser sur place au marteau. Les morceaux ainsi obtenus s’adaptent parfaitement à la surface murale. L’introduction du trencadís dans les créations de Gaudí répondait à une réflexion de l’architecte : « La couleur est vie. C’est un élément que nous ne devons pas mépriser mais infuser à nos œuvres ».
Dragon ou montagne ?
La couverture du bâtiment est constituée par une tourelle surmontée d’une croix à quatre barres et d’un toit ondulant en tuiles faisant penser à des écailles. Face à ces formes inédites, les imaginations se sont enflammées. D’aucun ont voulu y voir l’échine du dragon terrassé par Saint Georges, dont la tour et la croix seraient les symboles ; d’autres ont suggéré un rapprochement avec le site montagneux de Montserrat et sa célèbre roche Foradada. L’ondulation de la façade et de la toiture n’est en réalité que l’écho des volumes intérieurs dépourvus de tout angle et de toute arête.
Un hommage à la mer
Reflet de la vision naturaliste de Gaudí, l’intérieur de la Casa Batlló s’inspire du milieu marin et fait appel à l’imaginaire. L’historien Juan José Lahuerta écrit ainsi : « l’intérieur du bâtiment devient un espace de tranquillité pour l’homme qui affronte les multitudes de la ville et lutte dans le monde, une sorte de grotte sous-marine où se recueillir, où trouver un espace intime, à la façon de Jules Vernes, où, héros, le conquérant, l’homme moderne, a deux réalités : l’une extérieure, cosmique, sans limite et une intime où il est blotti dans sa grotte, dans le ventre maternel de la terre ; la nature, la raison et l’histoire convergent dans cette œuvre ».
À l’entrée se trouve un vestibule communautaire. Sur la droite un escalier mène aux appartements locatifs, en serpentant dans un patio qui constitue l’axe central de l’édifice. Sur la gauche, une porte, fermée par une grille, donne accès aux appartements privés de la famille Batlló. Gaudí a ainsi totalement réorganisé les zones communes de l’ancien édifice. En agrandissant le patio, il prévoit des accès distincts pour les propriétaires et les locataires, et trouve une manière ingénieuse de faire parvenir la lumière naturelle dans toutes les pièces de la maison.
Chez les Batlló
Dans le hall d’entrée privé de la famille Batlló, les fenêtres en forme de hublots, les formes organiques qui rythment la pièce, ainsi que la rampe d’escalier qui épouse les contours sinueux de l’épine dorsale d’une créature monstrueuse, créent une atmosphère fantastique d’univers sous-marin.
Au premier étage se trouve l’étage noble, réparti en deux grands ensembles, l’un constitué par les pièces de réception qui donnent sur le Passeig de Gràcia, l’autre, sur l’arrière, par la salle à manger et les salons privés.
Dans le salon central, de grandes baies vitrées sont pourvues de châssis tout en ondulations et garnies dans leur partie supérieure de disques en verre dans des tonalités bleues qui rappellent celles de la cour intérieure. Boiseries, encadrements des portes et fenêtres refusent toute ligne droite pour vivre à l’unisson des murs extérieurs, ondulant à l’image du monde marin. Le décor dans son ensemble semble avoir été façonné dans une argile humide, si bien que les portes palières et les portes intérieures donnent davantage l’impression d’avoir été modelées dans une pâte que sculptées dans le bois.
Une icône de Barcelone
Après avoir beaucoup souffert de la guerre civile, durant laquelle elle accueillit une centaine de réfugiés, la Casa Batlló fut ensuite transformée en bureaux au début des années 1940. C’est alors que commencèrent la dispersion du mobilier et le démontage de certains chambranles de portes. Depuis les années 1990, le bâtiment appartient à la famille Bernart, qui l’a entièrement restauré, et ouvert au public en 1995. Ce joyau architectural, iconique de Barcelone et de son architecte phare, appartient au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
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Pour aller plus loin
Le Dossier de l’Art sur Gaudí. Intégralement rédigé par Philippe Thiébaut, conservateur honoraire du patrimoine
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