Roland Albignac, écologue et accompagnateur

Roland Albignac, accompagnateur Arts et Vie

Interview de Roland Albignac, auteur de La Terre et nous et accompagnateur Arts et Vie

Voyageur invétéré, Roland Albignac est bien connu chez Arts et Vie : accompagnateur depuis près de 15 ans, il a encadré de nombreux circuits et voyages dans le monde entier. Chercheur en agronomie et en horticulture, spécialiste de Madagascar, il a notamment travaillé pour le Muséum national d’Histoire naturelle et pour l’Unesco. Après avoir partagé son savoir et son regard éclairé sur le monde lors de ses accompagnements Arts et Vie, il a récemment publié un livre, La Terre et nous. Nous avons organisé une rencontre avec lui à cette occasion, afin de discuter de son ouvrage.

Grégoire Tchékan pour Arts et Vie : Votre livre est sous-titré « Regards et perspectives d’un écologue ». Première question, qu’est-ce qu’un écologue ?

Roland Albignac : Un écologue fait de l’écologie scientifique. On est un peu obligé aujourd’hui d’utiliser ce terme pour se distinguer du mouvement politique car en France, ce terme a été dévoyé. Le mot “écologie” devrait être scientifique, il a été élaboré par des scientifiques pour définir une science qui s’appelle “l’écologie”. Chez les Anglo-Saxons et même chez les Allemands, on utilise en politique “green”, c’est-à-dire “les Verts”. Mélanger écologie scientifique et écologie politique est une erreur fondamentale. L’écologie politique ne correspond pas à la connaissance écologique des écosystèmes. Ce sont des approches très différentes.

Roland Albignac, La terre et nous, regard et perspectives d'un écologue

Pourquoi avoir écrit ce livre ? Que vouliez-vous apporter au public ?

Roland Albignac : La pensée de ce livre remonte au Club de Rome en 1968 et au travail que René Dumont a mené en politique dans les années 1970. Pour moi, c’est un peu le maître à penser de cette nouvelle vision et des problèmes d’environnement qui commençaient à se percevoir. J’ai suivi un peu ce mouvement. Je l’ai accompagné lors de la conférence de Stockholm en 1972, et j’ai poursuivi avec les accords de Rio en 1992.

J’ai ensuite conforté cette vision du monde avec mes propres expériences à l’étranger. Si je vous disais le nombre de voyages que j’ai réalisé avec Arts et Vie et les déplacements en avion que j’ai fait… Je ne suis absolument pas bon en termes d’empreinte écologique ! Mais voilà, tout ça m’a donné une vision, et cette grande expérience que j’ai eu la chance d’avoir dans ma vie, j’ai voulu en faire un livre.

J’attendais d’être à la retraite mais je suis un voyageur invétéré, donc il aurait fallu que je sois sur une chaise roulante ! Et puis il y a eu le Covid et écrire m’a permis de faire quelque chose, tant qu’on était coincés. Ce livre était en préparation depuis plusieurs années mais il fallait le déclic. Il fallait quelque chose qui me tienne devant un ordinateur, et ça été le Covid !

Vous parlez de la conférence de Stockholm, des accords de Rio, pour lesquels vous avez eu l’occasion de travailler. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots quel a été votre parcours professionnel ?

Roland Albignac : J’ai commencé en tant que chercheur dans un institut qui s’appelait l’ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer) et maintenant l’IRD (Institut de recherche pour le développement). C’est un institut de recherches outre-mer, donc dans les territoires tropicaux. J’étais à l’époque agronome avec une spécialisation horticole. Je suis parti pour diriger un parc botanique et zoologique, à Madagascar, à Tananarive (Antananarivo). Là, j’ai passé une thèse parce que, ayant un diplôme d’agriculture, il fallait que je refasse des certificats d’équivalence universitaire – à l’époque, il n’y avait pas de passerelles. J’ai donc fait une thèse d’État sur les carnivores et les lémuriens de Madagascar.

De là, je suis devenu enseignant, maître de conférences dans le système de coopération et j’ai plus tard débarqué à Besançon, à un poste de professeur d’université. J’ai ensuite été détaché au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris pendant deux ans. Je devais m’occuper à un moment de la chaire d’éthologie, c’est-à-dire de la direction des parcs zoologiques du Muséum, mais ça n’a pas marché et j’ai rebondi sur l’Unesco et le développement d’un projet pilote pour préparer les accords de Rio. J’ai donc eu la chance de gérer un des 5 projets pilotes – avec plusieurs millions de dollars de fond, afin d’apporter à Rio mon expérience sur Madagascar et les Mascareignes. Ce qui m’a valu une petite médaille avec Théodore Monod.

Ensuite, je suis revenu à l’université. J’aurais normalement dû aller à Bruxelles dans la DG8 qui s’occupe des problèmes d’environnement. C’était une charge très intéressante sur le plan matériel et financier, mais c’était un travail purement administratif, et je suis vraiment fâché avec l’administration ! Je suis fondamentalement un chercheur, et un chercheur ça doit expérimenter, avec des études de terrain, sinon ce n’est pas la peine ! Et ça m’a amené après aussi à voyager avec Arts et Vie, pour des raisons tout à fait différentes, pour développer l’éco-tourisme qui était une des orientations importantes à l’Unesco.

Lémurien Maki catta, espèce endémique de Madagascar
Lémurien Maki catta, espèce endémique de Madagascar © R. Albignac

Justement, vous êtes accompagnateur Arts et Vie depuis bientôt 15 ans, vous avez énormément voyagé… Aujourd’hui on s’interroge beaucoup sur l’impact environnemental que peut avoir le tourisme. Est-ce que vous pensez que voyager est contraire à l’écologie ?

Roland Albignac : Non, voyager c’est s’informer ! C’est prendre conscience de ce qui se passe sur la planète. Dans le livre, il y a beaucoup de photos. Vous savez, on parle du poids des mots et du choc des photos ! Je n’ai rien inventé de nouveau dans ce livre, René Dumont avait déjà tout écrit. Ce ne sont que des choses qui sont déjà connues, mais j’ai simplement voulu transmettre autrement.

J’ai voulu expliquer que sur notre planète, il existe à la fois des pédalos à moteur thermique qui ne sont là que pour du divertissement, et d’autre part des charrettes de zébus à Madagascar pour transporter de l’eau dans des régions où il y a des famines absolument dramatiques en ce moment. C’est la même planète, c’est le même Homo sapiens qui s’en sert. Mais vous imaginez la différence de vie entre ces gens-là ? C’est sidérant, on nage en plein délire, revenons à la réalité !

J’ai imaginé ce livre justement comme un retour à la réalité, je dirais, au bon sens. Et oui, j’incite les gens à continuer de voyager, du moins à faire des voyages bien structurés, bien pensés, qui apportent quelque chose à la réflexion humaine. C’est très important. Ça coûte de l’énergie, mais tout coûte de l’énergie. Pour moi, ça fait partie du bien-être humain, d’une qualité de vie.

À lire également : Vers un tourisme plus durable

Pour vous, voyager permet donc d’éveiller les consciences à l’écologie ?

Roland Albignac : Absolument. C’est fondamental pour moi d’avoir cette vision du monde. Il faut se rendre compte de la chance que nous avons en termes de satisfactions matérielles. Nos richesses sont énormes, mais très mal partagées. Il faut le voir pour s’en rendre vraiment compte. Les photos du livre sont là pour ça, pour essayer de déclencher cette prise de conscience, et pour inviter les gens à voyager. Il faut se rendre compte de ce qui se passe sur la planète.

Votre expérience comme accompagnateur Arts et Vie a-t-elle été bénéfique pour vous, pour consolider votre approche de l’écologie ou pour écrire ce livre ?

Roland Albignac : Oui, cela m’a beaucoup appris. Je remercie d’ailleurs Arts et Vie dans le livre pour ça car cela m’a permis d’avoir un contact avec le grand public, de faire des mini-conférences autour d’un pot le soir, pendant les voyages. Ça m’a permis aussi de me faire des amis, de rencontrer des gens avec des visions du monde différentes, de les rassembler et d’échanger avec eux. Pour moi, ça vraiment été du gagnant-gagnant comme je le dis souvent. Je dois beaucoup à cette expérience.

J’ai dû faire une centaine de voyages avec Arts et Vie et j’ai eu la chance de faire deux fois le tour du monde à 10 ans d’écart. Ça donne immédiatement une idée de l’évolution du système, j’ai vu les changements considérables qui ont lieu dans les pays que j’ai visités en l’intervalle d’une décennie. C’est incroyable d’avoir pu faire ça.

En parcourant votre livre, on peut constater votre souci pédagogique, votre volonté de donner une vue d’ensemble au lecteur. On commence avec la géographie physique et on va jusqu’à la question de l’énergie, sa production et sa consommation…

Roland Albignac : Je dois beaucoup à Émilie Escoulen qui a vraiment fait un travail remarquable de présentation. On a vraiment fait ce livre à deux et je suis absolument ravi du résultat. Une fois, elle m’a dit qu’elle était allée se promener dans une forêt de reboisement en Allemagne et qu’elle ne voyait plus du tout les forêts de la même façon. C’était une de ces forêts – j’en parle dans le livre – où les arbres sont des baguettes d’allumettes toutes alignées, et où il n’y a qu’une espèce présente, des conifères.

Avec Francis Hallé, un botaniste forestier reconnu, qui a participé au Radeau des Cimes (une opération d’observation de la cime des arbres des forêts primaires), nous appelons ça des “plantations d’arbres”. Ce n’est absolument pas comparable avec des forêts naturelles. Si vous allez en Biélorussie ou en Pologne, il y a un massif forestier encore à peu près intact – une forêt primaire – mais c’est très rare. Francis Hallé est en train d’essayer de créer une forêt qui va vieillir petit à petit et qui deviendrait naturelle, mais pour créer une forêt naturelle, il faut 5 à 10 siècles. C’est énorme. Il faut que la nature reprenne ses droits. Il faudrait, on est beaucoup à le dire, laisser au moins 20 % de la superficie de la planète à la nature. On aurait encore 80 % pour nous, ça nous semble un équilibre juste.

Forêt en Pologne © A. G. Brugeron

Quand on lit « issu de forêt gérées durablement » par exemple pour le papier, c’est donc issu de ces forets de plantations ? Qu’est-ce qu’il faut en penser du coup ?

Roland Albignac : On est obligés de faire des forêts de plantation, des forêts de reboisement. Je ne les blâme pas. Je les condamne seulement quand elles se font au détriment de la forêt naturelle. C’est un problème d’équilibre et de zonage.

Après la conférence de Stockholm en 1992, l’Unesco a créé un programme, le programme MAB (Man and biosphere : l’homme et la biosphère) qui repose sur un système de ce type. On crée une zone, un noyau dur de protection totale, avec autour des zones tampons, et plus élargie, une zone d’action, de développement, mais durable. Cela permet de créer des noyaux durs de protection, où la nature ne doit subir aucune intervention humaine. La nature sait mieux faire que l’homme. Vous avez vu le virus du Covid, comment il varie en permanence ? Il s’adapte sans cesse… La nature sait faire.

En tout cas, la lecture de votre livre a remis en cause pas mal d’idées reçues que je pouvais avoir sur l’écologie.

Roland Albignac : C’est le plus beau compliment que vous pouviez me faire ! C’est très gratifiant, parce que si j’ai pu vous convaincre, vous, j’espère que j’en ai convaincu plusieurs. Je regrette que des gens comme René Dumont justement n’aient pas été davantage écoutés à l’époque. Le gros problème c’est qu’il faut que les États aient une vision globale, qu’il y ait un arbitrage entre l’économique, le social et l’environnemental au niveau des pays.

À l’échelle mondiale, il faudrait une structure beaucoup plus performante que l’actuel programme des Nations Unies pour l’environnement, le PNUE, avec plutôt une organisation du type OMC (l’Organisation mondiale du commerce). C’est-à-dire une structure d’arbitrage très forte entre les trois piliers du développement durable (l’économie, le sociétal et l’environnemental), et dotée de moyens équivalents à l’OMC sur le plan financier et de l’expertise scientifique. La recherche est beaucoup trop orientée, elle met des œillères, elle voit de plus en plus petit. Il faudrait de temps en temps – j’appelle ça l’effet zoom – revenir à une vision plus générale, pour ensuite restituer le détail, pour savoir comment le détail fonctionne par rapport au général.

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