La Isla Negra, maison-musée de Pablo Neruda au Chili

Par Marie Lagrave

Outre ses multiples œuvres, Pablo Neruda (1904-1973), grand poète chilien, a laissé à la postérité trois maisons. Décorées avec soin de son vivant, transformées en musées après sa mort, elles révèlent l’univers onirique de Neruda au travers d’une myriade d’objets et de nombreuses collections rassemblées par le poète au cours de sa vie. De ces trois maisons : la Chascona à Santiago du Chili, la Sebastiana à Valparaiso, et la Isla Negra à El Quisco, cette dernière est sans doute celle où l’on ressent le plus l’âme de l’écrivain. À l’occasion d’un voyage au Chili, il y a quelques années, j’ai eu la chance de pouvoir la visiter.

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La maison du poète

À une heure de route au sud de Valparaiso, à quelques kilomètres du centre d’El Quisco, en allant vers la mer, on voit soudainement apparaitre au-dessus des toits une petite tour coiffée d’une étonnante girouette : un poisson encerclé à la manière d’une rose des vents. Nous arrivons à la Isla Negra, la demeure de Pablo Neruda, célèbre auteur chilien, prix Nobel de littérature en 1971. Cet étrange ornement n’est autre que l’emblème que s’est choisi le poète. Ici, dans cette petite commune ordinaire, à l’écart de l’agitation de la ville, il passa de longues périodes de sa vie et écrivit nombre de ses œuvres.

Lorsqu’il acquit ce lieu, en 1938, il n’y avait alors qu’une vieille bicoque sur un terrain battu par les vents. Mais la maison faisait face à l’océan Pacifique, et le terrain bordait une plage parsemée de rochers noirs. Captivé par la mer, à la recherche d’un lieu isolé pour se consacrer à l’écriture, Pablo Neruda trouva ici son refuge. Sous son influence, la simple bâtisse devint peu à peu une fascinante et exubérante demeure.

Bien qu’il n’y vécût que par intermittences – ses voyages et son exil l’ayant amené régulièrement loin du Chili – la Isla Negra fût son point d’encrage tout au long de sa vie, et le lieu où il préférait résider. Selon son souhait, il y fut même enterré à sa mort, aux côtés de Matilde Urrutia, sa dernière épouse. Leurs tombes sont visibles dans le jardin, tout près des rochers et de la mer.

Une bâtisse éclectique et excentrique

Dès notre arrivée, nous sommes frappés par l’architecture étonnante du lieu : l’ensemble est tout sauf homogène. La maison semble avoir été construite par l’ajouts successifs de petits bâtiments de styles très différents, accolés ou superposés les uns aux autres.

Une partie ressemble à une grande roulotte gitane tout en bois, soutenue par de larges roues. Une autre, couverte de lambris bleu et décorée d’une mosaïque de galets figurant des poissons, pourrait passer pour une cabane de pêcheurs. À d’autres endroits, les murs de vieille pierre évoquent une architecture plus classique. Si la maison est principalement de plein pied, labyrinthique avec ses multiples pièces en enfilade, certains espaces ont néanmoins été dotés d’un, voire de deux étages, complexifiant encore la structure de l’ensemble.

Une ode à la mer et aux voyages

Baptisée la Isla Negra par le poète pour l’isolement qu’elle lui procure et les rochers noirs qui la bordent (bien que ce ne soit nullement une île), la maison est conçue comme une ode à la mer et aux voyages, découpée partout de larges fenêtres laissant voir la majesté de l’océan. Les évocations de la mer, la navigation et les voyages sont partout, à l’extérieur comme à l’intérieur de la maison.

Grand collectionneur, Pablo Neruda y avait en effet amassé de nombreux objets collectés aux quatre coins du monde lors de ses multiples voyages : masques traditionnels, instruments de navigation, cartes anciennes, instruments de musique du monde entier… Parmi ses collections les plus extraordinaires, je me souviens notamment d’une dizaine de figures de proue d’anciens navires ainsi que d’une immense galerie de coquillages.

Le jardin également fourmille d’objets et de sculptures hétéroclites. Ici une ancienne locomotive, là une étoile en bois soutenant une volée de cloches, à proximité une ancre et un bateau qui semblent avoir été abandonnés par la mer, ailleurs un totem mapuche…

Un hommage à Pablo Neruda

Ici et là, on découvre une citation de l’écrivain gravée sur une poutre ; on lit, peint sur un mur, quelques-uns de ses plus célèbres poèmes. Son empreinte est partout à la Isla Negra. La visite permet d’appréhender son univers poétique et ses inspirations, son amour pour la mer et les voyages, son goût pour l’éclectisme et l’accumulation. On s’attendrait presque à le voir apparaitre, accoudé à une fenêtre, une pipe à la main et le regard perdu à l’horizon. C’est un voyage un peu hors du temps, et l’on en ressort comme déboussolés, la tête pleine de poésie.

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Crédits photos : © M. Lagrave

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