Romancero gitano, de Federico García Lorca
Par Marie Lagrave
Avec son soleil brulant et son histoire tourmentée, sa culture profondément chrétienne et son héritage maure, l’Andalousie est définitivement une région d’Espagne à part. Sans doute personne n’a su dépeindre ses paysages de sierras et d’oliveraies et son peuple fier et passionné mieux que Federico García Lorca, poète et dramaturge andalou, écrivain essentiel de la langue espagnole. Les quelques 18 poèmes du recueil Romancero gitano*, l’une de ses œuvres majeures, célèbrent cette région de toréros et de gitans et forment un chant sublime et tragique en l’honneur de sa terre natale.
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Federico García Lorca, poète et dramaturge andalou au destin funeste
Federico García Lorca nait le 5 juin 1898, à Fuentevaqueros, petite ville de campagne tout près de Grenade. Issu d’une famille aisée et cultivée, il grandit dans un environnement imprégné d’art et de littérature, mais conservera également de son enfance rurale un profond attachement à la terre, à l’Andalousie et son folklore. Il suit des études de lettres et de droit à Grenade, se passionne pour la musique et publie, dès 1918, son premier livre, Impressions et paysages, rassemblant divers textes en prose.
L’année suivante, il part pour Madrid et découvre l’activité culturelle foisonnante de la capitale. Il intègre un groupe de jeunes artistes et intellectuels parmi lesquels figurent Salvador Dalí, Luis Buñuel ou encore Rafael Alberti, et devient dans les années qui suivent l’un des chefs de file du groupe littéraire de la Génération de 27. S’il s’essaye alors sans grand succès au théâtre, il publie surtout plusieurs recueils de poésie qui font sa célébrité. La parution de Romancero gitano* en 1928, notamment, fait de lui le poète espagnol le plus lu de son temps.
Néanmoins, en contraste avec son succès fulgurant, la fin des années 20 est pour lui une période douloureuse : il sombre peu à peu dans une intense dépression, sans doute liée à la difficulté d’assumer son homosexualité dans une Espagne encore très conservatrice. Inquiets, ses proches l’envoient en 1929 aux États-Unis, où il y restera une année entière. Il y écrit l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre : Poète à New-York.
Au moment de son retour en Espagne, en 1930, Primo Rivera, dictateur en place depuis 1923, quitte le pouvoir, ouvrant la voie à la Seconde République. Le nouveau gouvernement propose à Federico García Lorca de diriger un théâtre ambulant, « La Barraca », pour faire connaitre les pièces du répertoire classique aux zones rurales d’Espagne. Il accepte, se dédie au théâtre et rédige alors ses plus belles pièces, comme Noces de sang (1933), Yerma (1934) ou La Maison de Bernarda Alba (1936).
À l’été 1936, comme tous les étés, Federico García Lorca rejoint sa famille à Grenade. Mais après des mois de vives tensions politiques, une insurrection militaire et nationaliste éclate le 17 juillet : c’est le début de la guerre civile espagnole. Si la rébellion est rapidement étouffée à Madrid – en tout cas dans un premier temps –, Grenade tombe aux mains des nationalistes le 20 juillet. Federico García Lorca est alors une figure publique bien connue : intellectuel, fonctionnaire de la République, proche de socialistes et, qui plus est, homosexuel… Aussi, quoiqu’il n’ait participé à aucune action politique, il est activement recherché. Il est arrêté le 16 août et fusillé dès le 19 août 1936, à peine un mois après le début de l’insurrection, à l’âge de 38 ans. Ses œuvres, bien qu’interdites par le régime franquiste, continuent cependant d’émouvoir le monde entier. Au retour de la démocratie en Espagne, le poète et dramaturge andalou est pleinement réhabilité, et célébré pour sa créativité et son lyrisme.
Romancero gitano : le chant de l’Andalousie
Publié en 1928, Romancero gitano est l’œuvre qui lui fait véritablement accéder à la renommée, d’abord en Espagne, puis dans le reste du monde. Ce recueil est composé de 18 poèmes rédigés entre 1924 et 1927, reprenant la forme du romance traditionnel et inspirés des récits et légendes gitanes.
Le romance est une forme poétique tirée des chansons de gestes espagnoles. Les poèmes se composent d’octosyllabes où seuls les vers pairs portent la rime, qui est de plus assonancée (c’est-à-dire que la rime ne concerne que les voyelles). C’est une forme qui donne une grande liberté de composition mais dont la musicalité est très importante, parfois d’ailleurs accentuée par de multiples répétitions. Les romances dépeignent le plus souvent des épopées légendaires ou historiques, ou des histoires d’amour. Si cette forme poétique est très ancienne et fut principalement utilisée au XVe siècle, de nombreux auteurs plus contemporains de Lorca s’y sont également essayé.
À cette forme traditionnelle, Federico García Lorca associe la thématique du monde gitan, quintessence à ses yeux de l’Andalousie. Fortement attaché à sa région de naissance, Lorca ne cessera en effet de dépeindre l’âme et les souffrances des Andalous, les traditions populaires et la culture gitane, malgré d’acerbes reproches notamment de la part de son ami Dalí, qui l’accuse de régionalisme et de manque d’originalité.
Ces 18 poèmes sont de véritables chefs d’œuvres, qui transcendent les légendes gitanes par la beauté formelle du romancero et un symbolisme où l’on sent poindre la proximité du poète avec les avant-gardes et le surréalisme espagnol.
* Nous avons choisi de ne pas traduire ce titre, afin de conserver le terme de romancero qui renvoie à une forme poétique traditionnelle, issue des chansons de geste et typiquement espagnole.
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