Le site archéologique de Delphes

Delphes : 130 ans de découvertes sur un site mythique

Article partenaire avec les Dossiers d’Archéologie et Archéologia
Par Constance Arhanchiague

Situé dans un environnement exceptionnel, sur les pentes du mont Parnasse, Delphes fête les 130 ans de sa « Grande Fouille » menée par l’École française d’Athènes à la fin du XIXe siècle, celle qui permit de mettre au jour ses principaux vestiges. Depuis, la connaissance du site n’a cessé d’évoluer. Occupé dès la Préhistoire, il voit au IXe siècle avant J.-C. le développement du culte d’Apollon et la naissance du sanctuaire destiné à devenir un des hauts lieux du monde antique. Puis, à la fin du VIe siècle avant J.-C. la naissance des fameux jeux pythiques, là encore en l’honneur du dieu du soleil et des arts. Site mythique, Delphes était aussi pour les anciens Grecs, l’omphalos, le centre du monde.

La cité de Delphes

Si l’on a tendance à réduire Delphes à son sanctuaire, le site fut pourtant habité de façon continue pendant vingt siècles environ, de la préhistoire au milieu du Moyen Âge, puis de nouveau du XIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, au moment du déplacement du village installé dans les ruines pour permettre la Grande Fouille de 1892.

Dès l’époque mycénienne, il y eut effectivement une cité d’importance moyenne, comptant entre 800 et 1 000 hommes adultes. Autour des années 1200 avant J.-C., de violents orages détruisent les maisons et palais mycéniens. Pour autant, l’occupation ne s’est pas interrompue, et le début de l’âge du Fer est bien attesté à Delphes.

Les lieux du culte d’Apollon furent d’abord insérés dans l’habitat, toujours séparé des nécropoles, puis au début du VIe siècle avant notre ère, après l’incendie du premier temple en pierre, le site connut une profonde restructuration qui sépara le monde des dieux de celui des hommes et permit d’honorer Apollon avec un faste accru.

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Un sanctuaire d’une immense renommée

Dans une lettre où il évoque sa visite de Delphes en janvier 1851, l’écrivain Gustave Flaubert décrit ainsi l’effet produit par le paysage : « Avoir choisi Delphes pour y mettre la Pythie est un coup de génie. C’est un paysage à terreurs religieuses, vallée étroite entre deux montagnes presque à pic, le fond plein d’oliviers noirs, les montagnes rouges et vertes, le tout garni de précipices, avec la mer au fond et un horizon de montagnes couvertes de neige ».

Le cadre saisissant du site de Delphes, marqué par des épisodes naturels violents, climatiques et géologiques, peut en effet expliquer l’institution de l’oracle d’Apollon à Delphes et sa pérennité. Accroché aux falaises Phédriades, dans le massif du Parnasse, entre 500 et 700 m d’altitude, le site présente une forte déclivité naturelle, de 35 % en moyenne, ce qui a imposé dès les débuts de l’occupation un aménagement en terrasses. La région dans laquelle il se trouve, au nord du golfe de Corinthe, est soumise à l’activité sismique la plus importante d’Europe, dans un contexte de failles actives.

Très rapidement, l’oracle est consulté par d’autres Grecs que les Delphiens, venus de Sparte, de Corinthe ou de Chalcis. Le mouvement de colonisation des cités grecques dans l’ensemble du bassin méditerranéen et le développement des concours pythiques à l’époque archaïque entérinent ce succès.

Sanctuaire à caractère d’abord régional, Delphes acquiert ainsi au cours des VIIIe et VIIe siècles avant J.-C. une dimension panhellénique et dépasse, peu à peu, les frontières du monde grec. En témoignent notamment l’origine géographique des offrandes des cités et celle des pèlerins, venus d’Asie Mineure, du Proche-Orient, de Grande-Grèce ou d’ailleurs en Méditerranée occidentale. Le sanctuaire d’Apollon devient un centre religieux et culturel du monde grec, où la consultation oraculaire s’impose avant la prise de toute décision importante, que celle-ci concerne l’individu ou la communauté.

Le temple d’Apollon

Sur la terrasse principale du sanctuaire s’élève le célèbre temple d’Apollon, où la Pythie recevait les paroles du dieu pour les transmettre aux pèlerins. Décrit par Pausanias au IIe siècle après J.-C., cet édifice a connu, avant notre ère, plusieurs états antérieurs.

Après les sanctuaires mythiques dédiés à Apollon, trois temples de pierre se sont en effet succédé et ont laissé chacun des vestiges. Le premier, datant du VIIe siècle avant J.-C., brûla accidentellement en -548 : l’archéologie a permis de découvrir des blocs en remploi et des tuiles. Après l’incendie, un vaste chantier se mit en place, prévoyant un agrandissement considérable de l’espace sacré, avec une vaste terrasse dévolue au temple et à ses abords, l’Apollonion. La construction du deuxième temple (achevée à la fin du VIe siècle avant J.-C.) a laissé un décor sculpté en marbre (fronton est avec l’arrivée d’Apollon et lions-gargouilles) et en pierre tendre (Gigantomachie).

Enfin, le dernier temple, bâti au IVe siècle avant notre ère et décrit ensuite par Pausanias, exalte les liens entre Apollon et Dionysos, le dieu qui séjourne à Delphes en hiver. Sa reconstruction est documentée par les comptes qui ont été gravés. C’est un temple dorique, entouré d’une colonnade de six colonnes en façade et de quinze sur les côtés. Il comprend un vestibule (pronaos) avec le célèbre « E » de Delphes et les maximes des Sept sages, une cella dont la partie postérieure était l’adyton où la pythie rendait les oracles et, à l’arrière, l’opisthodome qui abritait une grande statue connue par des monnaies d’époque impériale.

Si les recherches menées depuis plus de cent ans ont permis de restituer avec une certaine assurance l’aspect extérieur des deux derniers temples, les archéologues de la Grande Fouille (1892-1902) ne cachèrent toutefois pas leur déception en découvrant un grand trou béant à l’endroit où se trouvait l’antre de la Pythie, sur lequel des générations d’artistes et d’érudits avaient fantasmé…

Qui étaient les mystérieuses « Pythie » ?

Au cœur de l’activité du sanctuaire se trouve la Pythie. Immortalisée par la littérature antique, cette figure de prophétesse a fasciné les hommes, des Grecs à aujourd’hui.

Durant presque un millénaire, des centaines de femmes se succédèrent sur le trépied d’Apollon pythien pour rendre son oracle et être « celles qui parlent pour lui ». À l’époque archaïque (VIIIe-VIe siècle avant J.-C.), la Pythie ne rendait d’oracles qu’une fois par an, le jour de la naissance d’Apollon. Mais le succès du sanctuaire aurait conduit à des consultations mensuelles voire à la désignation de plusieurs Pythies en même temps.

Nous ne savons presque rien de ces femmes. Choisies par les prêtres d’Apollon parmi les familles les plus respectables de Delphes, c’étaient à l’origine des jeunes filles vierges. Diodore nous apprend cependant qu’à la suite d’un rapt, on aurait ensuite privilégié les femmes d’âge mûr. À l’époque impériale, des inscriptions nous révèlent que des Pythies ont été mariées et ont eu des enfants avant d’être choisies pour l’oracle.

Pour la consultation oraculaire, la Pythie devait se purifier en jeûnant et en se lavant dans la source Castalie. Les consultants, eux aussi purifiés, entraient alors dans le temple et, selon leur rang, étaient autorisés ou non à approcher pour s’adresser eux-mêmes à la Pythie et entendre la réponse d’Apollon de la bouche de sa prêtresse. Les sources antiques indiquent que la Pythie voyait les consultants, mais rien n’indique que la réciproque était vraie…

Si les oracles nous sont parvenus par centaines, grâce à la littérature antique et des inscriptions sur pierre, seules ont été véritablement consignées les consultations politiques. La Pythie devint ainsi un véritable acteur politique, que certains soupçonnèrent de parti pris en l’accusant d’être favorable tantôt aux Perses, tantôt aux Spartiates ou aux Macédoniens.

Des offrandes monumentales

Les individus ou communautés adressaient à Apollon une consécration afin de jouir de sa faveur et le remercier de son oracle. Il pouvait s’agir de statues ou d’édifices, érigés à la demande de communautés ou de souverains. Le « trésor » désigne ainsi le type le plus courant de monument à Delphes, attesté par une trentaine d’exemples. Les trésors pouvaient être de simples édifices ou reprendre le plan et l’élévation d’un petit temple ; propres à chaque cité, ils en conservaient les offrandes précieuses.

Parmi les statues les plus célèbres, figure la Sphinge de Naxos juchée sur une colonne qui dépassaient les douze mètres. Les recherches et reconstitutions archéologiques publiées dans le numéro d’Archéologia à paraître en septembre 2022, viennent de montrer que les « danseuses » de Delphes, qui ont inspiré Debussy, perchées elles aussi sur une colonne, étaient en fait des caryatides portant un trépied abritant lui-même un œuf symbolisant l’omphalos, le « centre du monde ». Ces offrandes qui se sont accumulées au fil des siècles ont profondément redéfini le paysage du sanctuaire et lui ont conféré son visage actuel.

Place aux concours sportifs et musicaux !

Les Pythia, organisées tous les quatre ans depuis 582 avant J.-C., comprenaient, outre des épreuves athlétiques et hippiques, des concours musicaux – une particularité propre à Delphes. Ceci explique la présence à l’origine d’un odéon parmi les monuments, qui fut remplacé par un théâtre au IIe siècle avant notre ère, grâce à la générosité du roi de Pergame. Apollon, dieu des arts, avait comme attribut la lyre. De très nombreux comédiens, musiciens et athlètes affluaient ainsi régulièrement vers Delphes de l’ensemble du bassin méditerranéen.

Outre le théâtre, ces concours ont conduit à l’aménagement d’espaces spécialement conçus pour l’organisation des différentes épreuves athlétiques et hippiques, à savoir un hippodrome et un stade, mais aussi un gymnase dévolu à l’entraînement des concurrents.

La construction de ces ensembles dans un environnement aussi abrupt a représenté un véritable défi. Le terrain était par endroit si pentu qu’il fallut élever de hauts murs de soutènement, notamment pour former les deux immenses esplanades du gymnase.

Le stade a pu être entièrement dégagé lors de la Grande Fouille, et constitue l’un des exemples les mieux conservés dans l’ensemble du monde antique. Une importante série d’inscriptions relatives au stade et au gymnase, essentiellement des comptes associés à leur construction et à leur entretien, nous sont également parvenus. La possibilité de croiser des données archéologiques et textuelles constitue ainsi un observatoire privilégié pour l’étude de l’équipement architectural consacré à l’entraînement et aux concours dans l’Antiquité.

Plan d’ensemble du site de Delphes
Plan d’ensemble du site de Delphes

Pour en savoir plus :

  • Le Dossier d’Archéologie n°411 sur « Delphes, redécouverte d’un sanctuaire millénaire », conçu avec les meilleurs spécialistes du sujet, professeurs d’archéologie grecque et maîtres de conférences
  • Archéologia n°612, avec un grand dossier sur Delphes et les 130 ans de résultats de recherche. À paraître en septembre 2022, disponible en ligne et en kiosque

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