Par Flavie Thouvenin
Petit état niché aux confins de la mer Baltique, la Lettonie est souvent oubliée des guides touristiques… à tort ! Après avoir surmonté les épreuves de la domination soviétique et les turbulences économiques à la suite de son indépendance, ce pays discret, membre de l’Union européenne depuis 2004, s’est hissé sur la première marche du podium des États baltes dont elle constitue aujourd’hui le centre économique. Riga, son élégante capitale, cœur européen de l’Art nouveau, les forêts à perte de vue de ses campagnes et les belles plages de ses côtes témoignent d’une richesse culturelle et naturelle unique. La langue lettone, véritable reflet de cette identité, porte en elle les stigmates de son histoire mouvementée. Avis aux polyglottes et aux curieux : le letton, ça se mérite !

Le letton, survivant des langues baltes
Le letton appartient à la famille des langues baltes, une branche de la grande famille des langues indo-européennes, distincte des langues slaves voisines. Parlées principalement en Lettonie et en Lituanie, elles comptent environ cinq millions de locuteurs. Contrairement à l’estonien, qui relève de la famille des langues ouraliennes comme le finnois et le hongrois, le letton et le lituanien sont les seuls survivants des langues baltes dites orientales. Leur cousine occidentale, le vieux-prussien, s’est éteinte quant à elle au XVIIIe siècle. Ainsi, bien que les trois États baltes partagent une histoire commune, seules la Lettonie et la Lituanie sont véritablement des nations « baltes » d’un point de vue linguistique.
Le témoin d’une histoire mouvementée
Avec environ 1,5 million de locuteurs natifs en Lettonie et 100 000 à l’étranger, le letton est aujourd’hui l’une des 24 langues officielles de l’Union européenne. Ses premières traces écrites remontent au XVIe siècle : le plus vieil ouvrage en letton date de 1585, il s’agit du catéchisme catholique de saint Pierre Canisius. Pendant des siècles sous influence teutonique, le letton fut fortement influencé par l’allemand, langue de l’élite locale. Il fallut attendre le XIXe siècle pour que le mouvement nationaliste letton redonne ses lettres de noblesse à cette langue, luttant contre l’influence étrangère et jetant les bases du letton moderne.


Une langue façonnée par les soubresauts de l’histoire
Comme bien des langues, le letton a été façonné par les événements historiques. Sous la domination tsariste, une politique de russification freine son essor. Pourtant, au début du XXe siècle, les linguistes Jānis Endzelīns et Kārlis Mīlenbahs élaborent l’alphabet letton moderne, plus fidèle à sa phonétique. Après l’indépendance de 1920, le letton connaît un âge d’or… jusqu’à l’occupation soviétique. La Lettonie voit alors affluer des populations russophones et subit une nouvelle vague de russification. En 1935, les Lettons représentaient 80 % de la population du pays ; en 1989, ils n’étaient plus que 52 %.
Le renouveau du letton après l’indépendance
Avec la chute de l’URSS en 1991, la Lettonie retrouve son indépendance et fait du letton la pierre angulaire de son identité. Depuis, l’éducation en letton a été renforcée et, en 2019, même les écoles communautaires des minorités du pays ont adopté cette langue comme principal vecteur d’enseignement. Aujourd’hui, 62 % des Lettons parlent le letton à la maison, et des efforts continus visent à renforcer son usage dans la sphère publique. Le russe reste cependant encore largement usité, notamment par les générations ayant vécu sous l’ère soviétique.



Une langue en quête d’authenticité
Pour préserver son identité linguistique, la Lettonie met un point d’honneur à « lettoniser » les emprunts étrangers. À l’instar du Québec vis-à-vis de l’anglais, les institutions lettones favorisent des équivalents purement lettons aux termes importés. Ainsi, si le mot « telefons » pour désigner le téléphone existe bel et bien, la version authentiquement lettone est « tālrunis ». Cette politique linguistique s’accompagne d’initiatives ludiques, comme le concours du « Mot de l’année » (Gada vārds), qui met en lumière des expressions typiquement lettones et encourage la créativité lexicale.
Une langue rare à l’oreille chantante
Si le letton n’est pas la langue la plus accessible pour un francophone, sa musicalité et son histoire en font un trésor linguistique unique. Avec ses intonations mélodiques et son vocabulaire imprégné de l’histoire du pays, elle reflète la résilience du peuple letton et la richesse culturelle de la Lettonie. Alors, à l’occasion de votre prochain séjour, pourquoi ne pas tenter d’apprendre quelques mots ? Sveiki (« bonjour ») ou paldies (« merci ») suffiront sans aucun doute à surprendre et ravir un Letton !

Découvrez « Riga, perle de l’Art nouveau » avec Arts et Vie et arpentez les États baltes au cours de notre circuit « Les Républiques baltes »