La « Trilogie du Caire » de Naguib Mahfouz, immersion égyptienne

Par Bénédicte Staut

 

Le Caire, métropole animée aux rues labyrinthiques et aux contrastes saisissants, servit de toile de fond vibrante aux écrits de Naguib Mahfouz, qui y puisa son inspiration pour sa célèbre trilogie, souvent désignée comme la « Trilogie du Caire ». Le premier écrivain de langue arabe à recevoir le prix Nobel de la littérature y peint une fresque captivante de la vie quotidienne, avec une richesse de détails saisissante, tout en explorant les dilemmes sociaux et les luttes individuelles qui marquent l’évolution de la société égyptienne au fil du XXe siècle. Mahfouz a ainsi consolidé sa place parmi les plus grands auteurs en laissant un héritage littéraire indélébile centré sur la vibrante métropole du Caire. Lorsqu’il raconte la vie d’une famille cairote entre les deux guerres mondiales, il propose une tension nouvelle dans la littérature arabe entre traditions et modernité, accompagnée d’éléments politiques perturbateurs.

Vue sur Le Caire avec les pyramides du plateau de Guizeh en fond. Le soleil est brûlant au-dessus des nuages et donne une atmosphère rougeoyante au paysage avec la ville dans la pénombre.
Vue sur le Caire et les pyramides au crépuscule © D. Camara

Mahfouz et Le Caire : une symbiose littéraire

Naguib Mahfouz naît le 11 décembre 1911 au Caire, plus précisément dans le vieux Caire islamique, au sein du quartier de Gamaleya. Issu d’une famille nombreuse et modeste, il se sentit élevé comme un enfant unique compte tenu de la grande différence d’âge avec ses frères et sœurs, beaucoup plus âgés que lui. Dès l’âge de 9 ans, il se tourna vers la lecture et l’écriture.

Le Nil, ce fleuve qui a transformé le désert en oasis et qui a profondément influencé la mentalité collective des Égyptiens, a également été un refuge et un foyer de création pour l’écrivain. Il vécut ainsi plusieurs années sur une dahabieh (une péniche égyptienne) avec son épouse, et cette expérience le marqua durablement.

Une révolution de la littérature égyptienne

Au début du XXe siècle, le genre littéraire prédominant en Égypte restait la poésie. Le roman y était alors perçu comme contraire aux bonnes mœurs et très occidental. Mahfouz s’empara néanmoins de ce genre, où tout ou presque restait encore à inventer. Cette initiative lui permis de devenir l’un des premiers grands romanciers de la langue arabe.

 

Son attrait pour la narration lui permit d’explorer une multitude de genres et sujets différents. Il s’intéressa ainsi à l’époque pharaonique avec Akhénaton le renégat, au réalisme que l’on peut retrouver dans Chimères, ou encore au fantastique, en proposant une poursuite des Mille et Une Nuits. Son style propose un mélange harmonieux entre l’arabe littéraire et la langue vernaculaire. Cette combinaison permet de rendre la littérature accessible à une plus grande majorité.

Le triptyque égyptien

Impasse des deux palais, 1956

Le premier volet débute comme une simple histoire de famille. Le lecteur est plongé en totale immersion dans les rues et ruelles du Caire, et découvre la complexité de la vie cairote. On suit ainsi la vie d’Ahmed Abd-el-Gawwad, père de famille, qui mène en quelque sorte une double vie. Père autoritaire attaché aux traditions au sein de son foyer, il fréquente néanmoins assidûment les lieux de plaisirs et de divertissements de la vie nocturne cairote. Le roman met en scène sa famille : Fahmi, son frère cadet, qui sous son caractère timide, cache des convictions puissantes ; Yasine, son fils aîné, issu d’une première union ; Amina, sa femme, soumise jusqu’à l’esclavage ; Khadiga, leur première fille au physique ingrat et à la langue acérée ; Aïsha, leur seconde fille, rêveuse et convoitée ; et enfin Kamal, leur benjamin intelligent. Mais le roman évoque également en filigrane la Première Guerre mondiale et ses conséquences sur le pays… 

Le Palais du désir, 1957

À travers le second volume, Naguib Mahfouz continue sa description acérée de l’intimité de la famille, développant le caractère psychologique de ses personnages avec un réalisme stupéfiant. Le récit s’attarde davantage sur les enfants qui ont désormais bien grandi, et s’affirment de plus en plus contre l’autorité du patriarche. Les conflits ne tardent pas à apparaître… La société cairote connaît également de profonds bouleversements, les traditions se perdant de plus en plus au profit des valeurs modernes.

 

Le Jardin du passé, 1957

La trilogie se termine avec Le Jardin du passé, tome dans lequel Mahfouz rend compte aux lecteurs pour la dernière fois de la vie de cette famille à travers la société et l’histoire égyptienne. Tout comme annonce le titre, ce tome laisse une large place à la réminiscence des personnages malgré les chamboulements de la politique en Égypte et l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale.

En recevant son prix Nobel de littérature en 1988, Naguib Mahfouz s’impose comme un grand écrivain de la langue arabe. Ainsi, sa trilogie est traduite dans plusieurs dizaines de langues et diffusée dans une centaine de pays, permettant de découvrir la richesse de la littérature arabe au-delà de ses frontières linguistiques et culturelles.

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